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Le parti que j’ai pris dans la queſtion que j’examinois il y a quelques années, n’a pas manque de me ſuſciter une multitude d’adverſaires[1] plus attentifs

  1. On m’aſſure que pluſieurs trouvent mauvais que j’appelle mes adverſaires, & cela me paroit assez croyable dans un ſiecle ou l’on n’oſe plus rien appeller par ſon nom. J’apprends auſſi que chacun de mes adverſaires ſe plaint, quand je réponds à d’autres objections que les ſiennes, que je perds mon tems à me battre contre des chimères ; ce qui me prouve une choſe dont je me doutois déjà bien, ſavoir qu’ils ne perdent point le leur à s’écouter les uns les autres. Quant à moi, c’est une peine que j’ai cru devoir prendre, & j’ai lu les nombreux écrits qu’ils ont publiés contre moi, depuis la premiere réponſe dont je fus honoré, jusqu’aux quatre ſermons Allemands dont l’un commence à-peu-près de cette maniere : Mes freres, ſi Socrate revenoit parmi nous, & qu’il vit l’état florissant où les ſciences ſont en Europe ; que dis-je, en Europe ? en Allemagne ; que dis-je, en Allemagne ? en Saxe : que dis-je, en Saxe ? à Leipſic, que dis-je, à Leipſic ? dans cette Univerſité. Alors ſaiſi d’étonnement, & pénétré de reſpect, Socrate s’aſſieroit modeſtement parmi nos écoliers ; & recevant nos leçons avec humilité, il perdroit bientôt avec nous ignorance dont il ſe plaignait ſi justement. J’ai lu tout cela & n’y ai fait que peu de réponſes ; peut-être en ai-je encore trop fait, mais je ſuis fort aiſe que ces Meſſieurs les aient trouvées aſſez agréables pour être jaloux de la préférence. Pour les gens qui ſont choqués du mot d’adverſaires, je consens de bon cœur à le leur abandonner, pourvu qu’ils veuillent bien m’en indiquer un autre par lequel je puiſſe déſigner, non-ſeulement tous ceux qui ont combattu mon ſentiment, ſoit par écrit, soit plus prudemment & plus à leur aiſe dans les cercles de femmes & de beaux eſprits, ou ils etoient bien ſûrs que je n’irois pas me défendre, mais encore ceux qui feignant aujourd’hui de croire que je n’ai point d’adverſaires, trouvaient d’abord ſans réplique les réponſes de mes adverſaires, puis quand j’ai réplique, m’ont blâmé de l’avoir fait, parce que, ſelon eux, un ne m’avoit point attaqué. En attendant, ils permettront que je continue d’appeler mes adverſaires mes adverſaires ; car, malgré la politeſſe de mon ſiecle, je ſuis groſſier comme les Macédoniens de Philippe.