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ſoit que les prenant pour des ſignes réels il en jugeât l’évenement inévitable. Les gens de guerre étant donc aſſemblés en grand nombre, il leur dit dans un diſcours grave & concis, qu’il adoptoit Piſon à l’exemple d’Auguſte & ſuivant l’uſage militaire qui laiſſe aux Généraux le choix de leurs Lieutenans. Puis, de peur que ſon ſilence au sujet de la ſédition ne la fît croire plus dangereuſe, il aſſura fort que n’ayant été formée dans la quatrieme & la dix-huitieme Légion que par un petit nombre de gens, elle s’étoit bornée à des murmures & des paroles, & que dans peu tout ſeroit pacifié. Il ne mêla dans ſon diſcours ni flatteries ni promeſſes. Les Tribuns, les Centurions & quelques ſoldats voiſins applaudirent, mais tout le reſte gardoit un morne ſilence ſe voyant privés dans la guerre du donatif qu’ils avoient même exigé durant la paix. Il paroît que la moindre libéralité arrachée à l’auſtere parſimonie de ce Vieillard eût pu lui concilier les eſprits. Sa perte vint de cette antique roideur, & de cet excès de sévérité qui ne convient plus à notre foiblesse.

De-là s’étant rendu au Sénat il n’y parla ni moins ſimplement ni plus longuement qu’aux soldats. La harangue de Piſon fut gracieuſe & bien reçue ; plusieurs le félicitoient de bon cœur ; ceux qui l’aimoient le moins avec plus d’affectation, le plus grand nombre par intérêt pour eux-mêmes ſans aucun ſouci de celui de l’Etat. Durant les quatre jours ſuivans qui surent l’intervalle entre l’adoption & la mort de Piſon, il ne fit ni ne dit plus rien en public.