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ses effets ; aussi le Monde a-t-il été souvent surcharge de Héros ; mais les nations n’auront jamais assez citoyens. Il y a bien de la différence entre l’homme vertueux & celui qui a des vertus ; celles du Héros ont rarement leur source dans la pureté de l’ame, &, semblables à ces drogues salutaires, mais peu agissantes, qu’il faut animer par des sels âcres & corrosifs, on diroit qu’elles aient besoin du concours de quelques vices pour leur donner de l’activité.

Il ne faut donc pas se représenter l’Héroïsme sous l’idée d’une perfection morale qui ne lui convient nullement, mais comme un composé de bonnes & mauvaises qualités salutaires ou nuisibles selon les circonstances, & combinées dans une telle proportion qu’il en résulte souvent plus de fortune & de gloire pour celui qui les possede, & quelquefois même plus de bonheur pour les Peuples, que d’une vertu parfaite.

De ces notions bien développées il s’ensuit qu’il peut y avoir bien des vertus contraires à l’Héroïsme ; d’autres qui lui soient indifférentes ; que d’autres lui sont plus ou moins favorables selon leurs différens rapports avec le grand art de subjuguer les cœurs & d’enlever l’admiration des Peuples ; & qu’enfin parmi ces dernieres il doit y en avoir quelqu’une qui lui soit plus nécessaire, plus essentielle, plus indispensable, & qui le caractérise en quelque maniere : c’est cette vertu spéciale & proprement HéroÏque qui doit être ici l’objet de mes recherches.

Rien n’est si décisif que l’ignorance, & le doute est aussi rare parmi le Peuple que l’affirmation chez les vrais Philosophes. II y a long-tems que le préjugé vulgaire a prononcé sur la question que nous agitons aujourd’hui, & que la valeur