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entre les hommes celui qui se rend le plus utile aux autres qui doit être le premier de tous. Je ne crains point que les Sages appellent d’une décision fondée sur cette maxime.

Il est vrai, & je me hâte de l’avouer, qu’il se présente, dans cette maniere d’envisager l’HéroÏsme, une objection qui semble d’autant plus difficile à résoudre qu’elle est tirée du fond même du sujet.

Il ne faut point, disoient les Anciens, deux Soleils dans la nature, ni deux Césars sur la terre. En effet, il en est de l’Héroïsme comme de ces métaux recherchés dont le prix consiste dans leur rareté, & que leur abondance rendroit pernicieux ou inutiles. Celui dont la valeur a pacifié le Monde l’eût désolé, s’il y eût trouvé un seul rival digne de lui. Telles circonstances peuvent rendre un Héros nécessaire au salut du genre-humain ; mais, en quelque tems que ce soit, un peuple de Héros en seroit infailliblement la ruine, &, semblable aux Soldats de Cadmus, il se détruiroit bientôt lui-même.

Quoi donc, me dira-t-on, la multiplication des bienfaiteurs de genre-humain peut-elle être dangereuse aux hommes, & peut-il y avoir trop de gens qui travaillent au bonheur de tous ? Oui, sans doute, répondrai-je, quand ils s’y prennent mal, ou qu’ils ne s’en occupent qu’un apparence. Ne nous dissimulons rien ; la félicité publique est bien moins la fin des actions du Héros qu’un moyen pour arriver à celle qu’il se propose, & cette fin est presque toujours sa gloire personnelle. L’amour de la gloire a fait des biens & des maux innombrables ; l’amour de la Patrie est plus pur dans son principe, & plus sûr dans