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On avance que les premiers hommes furent mechans ; d’ou il fuit que l’homme est méchant naturellement.*

[*Cette note est pour les Philosophes ; je conseille aux de la passer.

Si l’homme est méchant par sa nature, il est clair que les Sciences ne feront que le rendre pire ; ainsi voilà leur cause perdue par cette seule supposition. Mais il faut bien faire attention que, quoique l’homme soit naturellement bon, comme je le crois, & comme j’ai le bonheur de le sentir, il ne s’ensuit pas pour cela que les Sciences lui soient salutaires ; car toute position qui met un peuple dans le cas de les cultiver, annonce nécessairement un commencement de corruption qu’elles accélerent bien vite. Alors le vice de la constitution fait tout le mal qu’auroit pu faire celui de la nature, & les mauvais préjugés tiennent lieu des mauvais penchans.] Ceci n’est pas une affection de légère importance ; il me semble qu’elle eut biens valu la peine d’être prouvée. Les Annales de tous les peuples qu’on ose citer en preuve, sont beaucoup plus favorables à la supposition contraire ; & il faudroit bien des témoignages pour m’obliger de croire absurdité. Avant que ces mots affreux de tien & de mien fussent inventes ; avant qu’il y eut de cette espece d’hommes cruels & brutaux qu’on appelle maîtres, & de cette autre espece d’hommes fripons & menteurs qu’on appelle esclaves ; avant qu’il y eut des hommes assez abominables pour oser avoir du superflu pendant que d’autres hommes meurent de faim ; avant qu’une dépendance mutuelle les eut tous forces à devenir fourbes, jaloux & traîtres ; je voudrois bien qu’on m’expliquât en quoi pouvoient consister ces vices, ces crimes qu’on leur reproche avec tant d’emphase. On m’assure qu’on est depuis long-tems désabuse de la chimère de l’Âge d’or. Que n’ajoutoit-on encore qu’il y a long-tems qu’on est désabuse de la chimère de la vertu ?

J’ai dit que les premiers Grecs furent vertueux avant que