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ameutoient les peuples au nom de Dieu. Mais quelles intrigues, quelles cabales, peuvent former des Marchands & des Paysans ? Comment s’y prendront-ils pour susciter un parti dans un pays où l’on ne veut que des Valets ou des Maîtres, & où l’égalité est inconnue ou en horreur ? Un marchand proposant de lever des troupes peut se faire écouter en Angleterre, mais il fera toujours rire des François.*

[* Le seul cas qui force un peuple ainsi dénué de Chefs à prendre les armes, c’est quand, réduit au désespoir par ses persécuteurs, il voit qu’il ne lui reste plus de choix que dans la maniere de périr. Tel fut, au commencement de ce siecle, la guerre des Carnisards. Alors on est tout étonné de la force qu’un parti méprisé tire de son désespoir : c’est ce que jamais les persécuteurs n’ont su calculer d’avance. Cependant de telles guerres coûtent tant de sang qu’ils devroient bien y songer avant de les rendre inévitables.]


Si j’étois Roi ? Non : Ministre ? Encore moins : mais homme puissant en France, je dirois. Tout tend parmi nous aux emplois, aux charges ; tout veut acheter le droit de mal faire : Paris & la Cour engouffrent tout. Laissons ces pauvres gens remplir le vide des Provinces ;qu’ils soient marchands, & toujours marchands ; laboureurs, & toujours laboureurs. Ne pouvant quitter leur état, ils en tireront le meilleur parti possible ; ils remplaceront les nôtres dans les conditions privées dont nous cherchons tous à sortir ; ils feront valoir le commerce & l’agriculture que tout nous fait abandonner ;ils alimenteront notre luxe, ils travailleront, & nous jouirons.

Si ce projet n’étoit pas plus équitable que ceux qu’on suit, il seroit du moins plus humain, & sûrement il seroit plus utile. C’est moins la tyrannie & c’est moins l’ambition