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défauts. Ainsi dans tout instrument possible, il y a trois objets de pratique à considérer, savoir l’usage, la fabrique & l’imitation. Ces deux derniers arts dépendent manifestement du premier, & il n’y a rien d’imitable dans la nature à quoi l’on ne puisse appliquer les mêmes distinctions.

Si l’utilité, la bonté, la beauté d’un instrument, d’un animal, d’une action se rapportent à l’usage qu’on en tire ; s’il n’appartient qu’à celui qui les met en œuvre d’en donner le modele & de juger si ce modele est fidélement exécuté : loin que l’imitateur soit en état de prononcer sur les qualités pies choses qu’il imite, cette décision n’appartient pas même à celui qui les a faites. L’imitateur suit l’ouvrier dont il copie, l’ouvrage, l’Ouvrier suit l’Artiste qui fait s’en servir, & ce dernier seul apprécie également la chose & son imitation ; ce qui confirme que les tableaux du Poete & du Peintre n’occupent que la troisieme place après le premier modele ou la vérité.

Mais le Poete, qui n’a pour juge qu’un Peuple ignorant auquel il cherche à plaire, comment ne défigurera-t-il pas, pour le flatter, les objets qu’il lui présente ? Il imitera ce qui paroît beau à la multitude, sans se soucier s’il l’est en effet. S’il peint la valeur, aura-t-il Achille pour juge ? S’il peint la ruse, Ulysse le reprendra-t-il ? Tout au contraire Achille & Ulysse seront ses personages ; Thersite & Dolon ses spectateurs.

Vous m’objecterez que le Philosophe ne fait pas non plus lui-même tous les arts dont il parle, & qu’il étend souvent ses idées aussi loin que le Poete étend ses images. J’en conviens :