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des dimensions exactes, ne fait rien de fort agréable à la vue ; aussi son ouvrage n’est-il recherché que par les gens de l’art. Mais celui qui trace une perspective, flatte le peuple & les ignorans, parce qu’il ne leur fait rien connoître, & leur offre seulement l’apparence de ce qu’ils connoissoient déjà. Ajoutez que la mesure, nous donnant successivement une dimension & puis l’autre, nous instruit lentement de la vérité des choses ; au lieu que l’apparence nous offre le tout à la fois, &, sous l’opinion d’une plus grande capacité d’esprit, flatte le sens en séduisant l’amour-propre.

Les représentations du Peintre, dépourvues de toute réalité, ne produisent même cette apparence, qu’a l’aide de quelques vaines ombres & de quelques légers simulacres qu’il fait prendre pour la chose même. S’il y avoit quelque mélange de vérité dans ses imitations, il faudroit qu’il connût les objets qu’il imite ; il seroit Naturaliste, Ouvrier, Physicien, avant d’être Peintre. Mais au contraire, l’étendue de son art n’est fondée que sur son ignorance ; & il ne peint tout, que parce qu’il n’a besoin de rien connoître. Quand il nous offre un Philosophe en méditation, un Astronome observant les astres, un Géometre traçant des figures, un Tourneur dans son attelier, fait-il pour cela tourner, calculer, méditer, observer les astres ? Point du tout ; il ne fait que peindre. Hors d’état de rendre raison d’aucune des choses qui sont dans son tableau, il nous abuse doublement par ses imitations, soit en