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des institutions de ceux-ci que celles dont ils ne sont pas encore incapables. Si le sage Plutarque s’est charge de justifier l’usage en question, pourquoi faut-il que je m’en charge après lui ? Tout est dit, en avouant que cet usage ne convenoit qu’aux élevés de Lycurgue ; que leur vie frugale & laborieuse, leurs mœurs pures & sévères, la force dame qui leur étoit propre, pouvoient seules rendre innocent sous leurs yeux, un spectacle si choquant pour tout peuple qui n’est qu’honnête.

Mais pense-t-on qu’au fond l’adroite parure de nos femmes air moins son danger qu’une nudité absolue, dont l’habitude tourneroit bientôt les premiers effets en indifférence & peut-être en dégoût ? Ne fait-on pas que les statues & les tableaux n’offensent les yeux que quand un mélange de vêtemens rend les nudités obscènes ? Le pouvoir immédiat des sens est foible & borne : c’est par l’entremise de l’imagination qu’ils sont leurs plus grands ravages ; c’est elle qui prend soin d’irriter les desirs, en prêtant à leurs objets encore plus d’attraits que ne leur en donna la. Nature ; c’est elle qui découvre à l’œil avec scandale ce qu’il ne voit pas seulement comme nud, mais comme devant être habille. Il n’y a point de vêtement si modeste au travers duquel un regard enflamme par l’imagination n’aille porter les desirs. Une jeune Chinoise ; avançant un bout de pied couvert & chausse, sera plus de ravage à Pékin que n’eut fait la plus belle fille du monde dansant toute nue au bas du Tagete. Mais quand on s’habille avec autant d’art & si peu d’exactitude que les femmes font aujourd’hui, quand on ne montre moins que pour faire désirer davantage, quand l’obstacle qu’on oppose aux yeux ne sert qu’a