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des effets si sensibles qu’ils ne puissent être contestes personne qui connoisse un peu notre constitution.

Geneve est riche, il est vrai ; mais, quoiqu’on n’y voye point ces énormes disproportions de fortune qui appauvrissent tout un pays pour enrichir quelques habitans & sement la misere autour de l’opulence, il est certain que, si quelques Genevois possèdent d’assez grands biens, plusieurs vivent dans une disette assez dure, & que l’aisance du plus grand nombre vient d’un travail assidu, d’économie & de modération, plutôt que d’une richesse positive. Il y a bien des Villes plus pauvres que la nôtre où le bourgeois peut donner beaucoup plus à ses plaisirs, parce que le territoire qui le nourrit ne s’épuise pas, & que son tems n’étant d’aucun prix, il peut le perdre sans préjudice. Il n’en va pas ainsi parmi nous, qui, sans terres pour subsister, n’avons tous que notre industrie. Le peuple Genevois ne se soutient qu’à force de travail, & n’a le nécessaire qu’autant qu’il se refuse tout superflu : c’est une des raisons de nos loix somptuaires. Il me semble que ce qui doit d’abord frapper tout Etranger entrant dans Geneve, c’est l’air de vie & d’activité qu’il y voit régner. Tout s’occupe, tout est en mouvement, tout s’empresse à son travail & à ses affaires. Je ne crois pas que nulle autre aussi petite Ville au monde offre un pareil spectacle. Visitez le quartier St. Gervais ; toute l’horlogerie de l’Europe y paroît rassemblée. Parcourez le Molard & les rues basses, un appareil de commerce en grand, des monceaux de ballots, de tonneaux confusément jettés, une odeur d’Inde & de droguerie vous font imaginer un port de mer. Aux Pâquis, aux Eaux-vives, le bruit & l’aspect des