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directement le bien, il concourt avec lui à l’harmonie universelle.

Mais ce par quoi les choses sont, se distingue très-nettement sous deux idées ; savoir, la chose qui fait, & la chose qui est faite ; même ces deux idées ne se réunissent pas dans le même être sans quelque effort d’esprit, & l’on ne conçoit guères une chose qui agit, sans en supposer une autre sur laquelle elle agit. De plus, il est certain que nous avons l’idée de deux substances distinctes ; savoir, l’esprit, & la matiere ; ce qui pense, & ce qui est étendu ; & ces deux idées se conçoivent très-bien l’une sans l’autre.

Il y a donc deux manieres de concevoir l’origine des choses, savoir ; ou dans deux causes diverses, l’une vive & l’autre morte, l’une motrice & l’autre mue, l’une active & l’autre passive, l’une efficiente & l’autre instrumentale ; ou dans une cause unique, qui tire d’elle seule tout ce qui est, & tout ce qui se fait. Chacun de ces deux sentiments, débattus par les métaphysiciens depuis tant de siecles, n’en est pas devenu plus croyable à la raison humaine : & si l’existence éternelle & nécessaire de la matiere a pour nous ses difficultés, sa création n’en a pas de moindres, puisque tant d’hommes & de philosophes, qui dans tous les tems ont médité sur ce sujet, ont tous unanimement rejetté la possibilité de la création, excepté peut-être un très-petit nombre qui paroissent avoir sincérement soumis leur raison à l’autorité ; sincérité que les motifs de leur intérêt, de leur sûreté, de leur repos, rendent fort suspecte, & dont il sera toujours impossible de s’assurer, tant que l’on risquera quelque chose à parler vrai.