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jamais irrites, le plus doux de tous les sentimens eut à peine effleure le cœur humain, & son objet eut été mal rempli. L’obstacle apparent qui semble éloigner cet objet, est au fond ce qui le rapproche. Les voiles par la honte n’en deviennent que plus séduisans ; en les gênant la pudeur les enflamme : ses craintes, ses détours, ses réserves, ses timides aveux,sa tendre & naÏve finesse, disent mieux ce qu’elle croit taire que la passion ne l’eut dit sans elle : c’est elle qui donne du prix faveurs & de la douceur aux refus. Le véritable amour possède en effet ce que la seule pudeur lui dispute ; ce mélange de foiblesse & de modestie le rend plus touchant & plus tendre ; moins il obtient, plus la valeur de ce qu’il obtient en augmente, & c’est ainsi qu’il jouit à la fois de ses privations & de ses plaisirs.

Pourquoi, disent-ils, ce qui n’est pas honteux à l’homme, le seroit-il à la femme ? Pourquoi l’un des sexes se feroit-il un crime de ce que l’autre se croit permis ? Comme si les conséquences etoient les mêmes des deux cotes ! Comme si tous les austères devoirs de la femme ne derivoient pas de cela seul qu’un enfant doit avoir un pere. Quand ces importantes considérations nous manqueroient, nous aurions toujours la même réponse à faire, & toujours elle seroit sans replique. Ainsi sa voulu la Nature, c’est un crime d’étouffer sa voix. L’homme peut être audacieux, telle est sa destination :*

[*Distinguons cette audace de l’insolence & de la brutalité ; car rien ne part de sentimens plus opposes, & n’a d’effets plus contraires. Je suppose l’amour innocent & libre, ne recevant de loix de lui-même ; c’est à lui seul qu’il appartient de présider à ses mysteres, & de former l’union des personnes, ainsi que celle des cœurs. Qu’un homme insulte à la pudeur du sexe, & attente avec violence aux charmes d’un jeune objet qui ne sent rien pour lui ; sa grossièreté n’est point passionnée, elle est outrageante ; elle annonce une ame sans mœurs, sans délicatesse, incapable à la fois d’amour & d’honnêteté. Le plus grand prix des plaisirs est dans l’cœur qui les donne : un véritable amant ne trouveroit que douleur, rage, & désespoir dans la possession même de ce qu’il même de ce qu’il aime, s’il croyoit n’en point être aime.

Vouloir contenter insolemment ses desirs sans l’aveu de celle qui les fait naître, est l’audace d’un Satyre ; celle d’un homme est de savoir les témoigner sans déplaire, de les rendre interessans, de faire en sorte qu’on les partage, d’asservir les sentimens avant d’attaquer la personne. Ce n’est pas encore assez d’être aime, les desirs partages ne donnent pas seuls le droit de les satisfaire ; il faut de plus le consentement de les volonté. Le cœur accorde en vain ce que la volonté refuse. L’honnête-homme & l’amant s’en abstient, même quand il pourroit l’obtenir. Arracher ce consentement tacite, c’est user de toute la permise en amour : Le lire dans les yeux, le voir dans les manieres malgré le refus de bouche, c’est l’art de celui qui fait aimer ; s’il acheve alors d’être heureux, il n’est brutal, il est honnête ; il n’outrage point la pudeur, il la respecte, il la sert ; il lui laisse l’honneur de défendre encore ce qu’elle eut abandonne. ] il faut bien que quelqu’un se déclaré. Mais toute femme