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plupart jouent de la flûte, plusieurs ont un peu de musique & chantent juste. Ces arts ne leur sont point enseignes par des maîtres, mais leur passent, pour ainsi dire, par tradition. De ceux que j’ai vus savoir la musique, l’un me disoit l’avoir apprise de son pere, un autre de son tante, un autre de son cousin, quelques -uns croyoient l’avoir toujours sue. Un de leurs plus fréquens amusemens est de chanter avec leurs femmes & leurs enfans les pseaumes à quatre parties ; & l’on est tout étonne d’entendre sortir de ces cabanes champêtres, l’harmonie sorte & mâle de Goudimel, depuis si long-tems oubliée de nos savans Artistes.

Je ne pouvois non plus me lasser de parcourir ces charmantes demeures, que les habitans de m’y témoigner la plus franche hospitalité. Malheureusement j’étois jeune : ma curiosité n’etoit que celle d’un enfant ; & je songeois plus m’amuser qu’a m’instruire. Depuis trente ans, le peu d’observations que je fis se sont effacées de ma mémoire. Je me souviens seulement que j’admirois sans cesse en ces l’hommes singuliers un mélange étonnant de finesse & de simplicité qu’on croiroit presque incompatibles, & que je n’ai plus observe nulle part. Du-reste, je n’ai rien retenu de leurs mœurs, de leur société, de leurs caracteres. Aujourd’hui que j’y porterois d’autres yeux, faut-il ne revoir plus cet heureux pays ? Hélas ! il est sur la route du mien !

Après cette légere idée, supposons qu’au sommet de la montagne dont je viens de parler, au centre des habitations, en établisse un Spectacle fixe & peu coûteux, sous prétexte, par exemple, d’offrir une honnête récréation à des gens