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présenter ; l’amour que expose au Théâtre y est rendu légitime, son but est honnête, souvent il est puni. Fort bien ; mais n’est-il pas plaisant qu’on prétende ainsi régler après coup les mouvemens du cœur sur les préceptes de la raison, & qu’il faille attendre evenemens pour savoir quelle impression l’on doit recevoir des situations qui les amènent ? Le mal qu’on reproche au Théâtre n’est pas précisément d’inspirer des passions criminelles, mais de disposer l’ame a des sentimens trop, tendres qu’on satisfait ensuite aux dépens de la vertu. Les douces émotions qu’on y ressent n’ont pas par elles-mêmes un objet détermine, mais elles en sont naître le besoin ; elles ne donnent pas précisément de l’amour, mais elles préparent à en sentir ; elles ne choisissent pas la personne qu’on doit aimer, mais elles nous forcent à faire ce choix. Ainsi elles ne sont innocentes ou criminelles que par l’usage que nous en faisons selon notre caractere, & ce caractere est indépendant de l’exemple. Quand il seroit vrai qu’on ne peint au Théâtre que des passions légitimes, s’ensuit-il de-la que les impressions en sont plus foibles, que les effets en sont moins dangereux ? Comme si les vives images d’une tendresse innocente étoient moins douces, moins séduisantes, moins capables d’échauffer un cœur sensible que celles d’un amour criminel, à qui l’horreur du vice sert au moins de contre-poison ? Mais si l’idée de l’innocence embellit quelques instants le sentiment qu’elle accompagne, bientôt les circonstances s’effacent de la mémoire, tandis que l’impression d’une passion si douce