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traiter qu’a suivie la Bourgeoisie pendant qu’elle a été la maîtresse de l’Etat ? N’est-il pas d’une police mieux entendue de voir monter à l’Hôtel-de-Ville une trentaine de Députés au nom de tous leurs Concitoyens, que de voir toute une Bourgeoisie y monter en foule, chacun ayant sa déclaration à faire, & nul ne pouvant parler que pour soi ? Vous avez vu, Monsieur, les Représentans en grand nombre, forcés de se diviser par pelotons, pour ne pas faire tumulte & cohue, venir séparément par bandes de trente ou quarante, & mettre dans leur démarche encore plus de bienséance & de modestie qu’il ne leur en étoit prescrit par la Loi. Mais tel est l’esprit de la Bourgeoisie de Geneve ; toujours plutôt en-deçà qu’en-delà de ses droits, elle est ferme quelquefois, elle n’est jamais séditieuse. Toujours la Loi dans le cœur, toujours le respect du Magistrat sous les yeux, dans le tems même où la plus vive indignation devoit animer sa colère, & où rien ne l’empêchoit de la contenter, elle ne s’y livra jamais. Elle fut juste étant la plus forte ; même elle sut pardonner. En eût-on pu dire autant de ses oppresseurs ? On sait le sort qu’ils lui firent éprouver autrefois ; on sait celui qu’ils lui préparoient encore.

Tels sont les hommes vraiment dignes de la liberté, parce qu’ils n’en abusent jamais, qu’on charge pourtant de liens & d’entraves comme la plus vile populace. Tels sont les Citoyens, les membres du Souverain qu’on traite en sujets, & plus mal que des sujets mêmes ; puisque, dans les Gouvernemens les plus absolus, on permet des assemblées de Communautés qui ne sont présidées d’aucun Magistrat.