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parties, ils ne puissent s’accorder ni entre eux ni par l’entremise des Anciens, il est dit par l’article 18 que la cause doit être portée au Magistrat pour y mettre ordre.

Mais mettre ordre à la querelle, n’est pas décider du dogme. L’Ordonnance explique elle-même le motif du recours au Magistrat ; c’est l’obstination d’une des Parties. Or la police dans tout l’Etat, l’inspection sur les querelles, le maintien de la paix & de toutes les fonctions publiques, la réduction des obstinés, sont incontestablement du ressort du Magistrat. Il ne jugera pas pour cela de la doctrine, mais il rétablira dans l’assemblée l’ordre convenable pour qu’elle puisse en juger.

Et quand le Conseil seroit juge de la doctrine en dernier ressort, toujours ne lui seroit-il pas permis d’intervertir l’ordre établi par la Loi, qui attribue au Consistoire la premiere connoissance en ces matieres ; tout de même qu’il ne lui est pas permis, bien que Juge suprême, d’évoquer à soi les causes civiles, avant qu’elles aient passé aux premieres appellations.

L’article 18 dit bien qu’en cas que les Ministres ne puissent s’accorder, la cause doit être portée au Magistrat pour y mettre ordre ; mais il ne dit point que la premiere connoissance de la doctrine pourra être ôtée au Consistoire par le Magistrat ; & il n’y a pas un seul exemple de pareille usurpation depuis que la République existe. *

[*Il y eut dans le seizieme siecle beaucoup de disputes sur la prédestination, dont on auroit dû faire l’amusement des Ecoliers, & dont on ne manqua pas, selon l’usage, de faire une grande affaire d’Etat. Cependant ce furent les Ministres qui la déciderent, & même contre l’intérêt public. Jamais, que je sache, depuis les Edits, le petit Conseil ne s’est avisé de prononcer sur le dogme sans leur concours. Je ne connois qu’un jugement de cette espece, & il fut rendu par le Deux-Cent. Ce fut dans la grande querelle de 1669 sur la grace particuliere. Après de longs & vains débats dans la Compagnie & dans le Consistoire, les Professeurs, ne pouvant s’accorder, porterent l’affaire au petit Conseil, qui ne la jugea pas. Le Deux-Cent l’évoqua & la jugea. L’importante question dont il s’agissoit, étoit de savoir si Jésus étoit mort seulement pour le falut des élus, ou s’il étoit mort aussi pour le falut des damnes. Après bien des séances & de mûres délibérations, le magnifique Conseil des Deux -Cents prononça que Jésus n’etoit mort que pour le falut des élus. On conçoit bien que ce jugement fut une affaire de faveur, & que Jésus seroit mort pour les damnés, si le Professeur Tronchin avoit eu plus de crédit que son adversaire. Tout cela sans doute est fort ridicule : on peut dire toutefois qu’il ne s’agissoit pas ici d’un dogme de soi, mais de l’uniformité de l’instruction publique, dont l’inspection appartient sans contredit au Gouvernement. On peut ajouter que cette belle dispute avoit tellement excité l’attention, que toute la Ville étoit en rumeur. Mais n’importe ; les Conseils devoient appaiser la querelle sans prononcer sur la doctrine. La décision de toutes les questions qui n’intéressent personne & où qui que ce soit ne comprend rien, doit toujours être laissée aux Théologiens. ] C’est de quoi l’Auteur