Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t6.djvu/15

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Jean-Jaques Rousseau, Citoyen de Geneve, À Christophe de Beaumont, Archevêque de Paris.

Pourquoi faut-il, Monseigneur, que j’aie quelque chose à vous dire ? Quelle langue commune pouvons-nous parler, comment pouvons-nous nous entendre, & qu’y a-t-il entre vous & moi ?

Cependant, il faut vous répondre ; c’est vous-même qui m’y forcez. Si vous n’eussiez attaqué que mon livre, je vous aurois laissé dire : mais vous attaquez aussi ma personne ; &, plus vous avez d’autorité parmi les hommes, moins il m’est permis de me taire, quand vous voulez me déshonorer.

Je ne puis m’empêcher, en commençant cette Lettre, de réfléchir sur les bizarreries de ma destinée. Elle en a qui n’ont été que pour moi.

J’étois né avec quelque talent ; le public l’a jugé ainsi. Cependant j’ai passé ma jeunesse dans une heureuse obscurité, dont je ne cherchois point à sortir. Si je l’avois cherché, cela même eût été une bizarrerie que durant tout le feu du premier âge je n’eusse pu réussir, & que j’eusse trop réussi dans la suite, quand ce feu commençoit à passer. J’approchois de ma quarantieme année, & j’avois, au lieu d’une fortune que j’ai toujours méprisée, & d’un nom qu’on m’a