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de peur que vous n’étendiez ma défense à la partie de cet objet que je n’y veux pas embrasser.

Je suis homme, & j’ai fait des Livres ; j’ai donc fait aussi des erreurs. *

[* Exceptons, si l’on veut, les Livres de Géométrie & leurs Auteurs. Encore, s’il n’y a point d’erreurs dans les propositions mêmes, qui nous assurera qu’il n’y de ait point dans l’ordre de déduction, dans le choix, dans la méthode ? Euclide démontre, & parvient à son but : mais quel chemin prend-il ? combien n’erre-t-il pas dans sa route ? la science a beau être infaillible, l’homme qui la cultive se trompe souvent. ] J’en apperçois moi-même en assez grand nombre : je ne doute pas que d’autres n’en voient beaucoup davantage, & qu’il n’y en ait bien plus encore que ni moi ni d’autres ne voyons point. Si l’on ne dit que cela, j’y souscris.

Mais quel Auteur n’est pas dans le même cas, ou s’ose flatter de n’y pas être ? Là-dessus donc point de dispute. Si l’on me réfute & qu’on ait raison, l’erreur est corrigée, & je me tais. Si l’on me réfute, & qu’on ait tort, je me tais encore ; dois-je répondre du fait d’autrui ? En tout état de cause, après avoir le entendu les deux Parties, le Public est juge, il prononce, le Livre triomphe ou tombe, & le procès est fini.

Les erreurs des Auteurs sont souvent fort indifférentes ; mais il en est aussi de dommageables, même contre l’intention de celui qui les commet. On peut se tromper au préjudice du Public comme au sien propre ; on peut nuire innocemment. Les controverses sur les matières de Jurisprudence, de Morale, de Religion, tombent fréquemment dans ce cas. Nécessairement un des deux disputans se trompe, & l’erreur sur ces matières, important toujours, devient faute ; cependant on ne la punit pas quand on la présume involontaire.