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me parlez de la part de Dieu, je ne serois pas même assuré qu’il existe.

Voilà bien des difficultés, mon enfant, & ce n’est pas tout. Parmi tant de religions diverses qui se proscrivent & s’excluent mutuellement, une seule est la bonne, si tant est qu’une le soit. Pour la reconnaître il ne suffit pas d’en examiner une, il faut les examiner toutes ; &, dans quelque matière que ce soit, on ne doit pas condamner sans entendre [1] ; il faut comparer les objections aux preuves ; il faut savoir ce que chacun oppose aux autres, & ce qu’il leur répond. Plus un sentiment nous paraît démontré, plus nous devons chercher sur quoi tant d’hommes se fondent pour ne pas le trouver tel. Il faudroit être bien simple pour croire qu’il suffit d’entendre les docteurs de son parti pour s’instruire des raisons du parti contraire. Où sont les théologiens qui se piquent de bonne foi ? Où sont ceux qui, pour réfuter les raisons de leurs adversaires, ne commencent pas par les affaiblir ? Chacun brille dans son parti : mais tel au milieu des siens est tout fier de ses preuves qui feroit un fort sot personnage avec ces mêmes preuves parmi des

  1. Plutarque rapporte que les stoïciens, entre autres bizarres paradoxes, soutenoient que dans un jugement contradictoire, il était inutile d’entendre les jeux parties. Car, disaient-ils, ou le premier a prouvé son dire, ou il ne l’a pas prouvé : s’il l’a prouvé, tout est dit, & la partie adverse doit être condamnée ; s’il ne l’a pas prouvé, il a tort, & doit être débouté. Je trouve que la méthode de tous ceux qui admettent une révélation exclusive ressemble beaucoup à celle de ces stoïciens. Sitôt que chacun prétend avoir seul raison, pour choisir entre tant de partis, il les faut tous écouter, ou l’on est injuste.