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homme vient d’en faire l’épreuve ; tu peux la faire à ton tour.

Je me tus ; le piqueur voulut répliquer. Le Patron lui imposa silence. Il parcourut des yeux mes camarades dont le teint hâve & la maigreur attestoient la vérité de mes plaintes, mais dont la contenance au surplus n’annonçoit point du tout des gens intimidés. Ensuite m’ayant considéré derechef. Tu parois, dit-il, un homme sensé : je veux savoir ce qui en est. Tu tances la conduite de cet esclave ; voyons la tienne à sa place ; je te la donne & le mets à la tienne. Aussi-tôt il ordonna qu’on m’ôtât mes fers & qu’on les mit à notre chef ; cela fut fait à l’instant.

Je n’ai pas besoin de vous dire comment je me conduisis dans ce nouveau poste, & ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. Mon aventure fit du bruit, le soin qu’il prit de la repandre fit nouvelle dans Alger : le Dey même entendit parler de moi & voulut me voir. Mon Patron m’ayant conduit à lui & voyant que je lui plaisois lui fit présent de ma personne. Voilà votre Emile esclave du Dey d’Alger.

Les regles sur lesquelles j’avois à me conduire dans ce nouveau poste, découloient de principes qui ne m’étoient pas inconnus. Nous les avions discutés durant mes voyages, & leur application bien qu’imparfaite & trés-en petit, dans le cas où je me trouvois, étoit sûre & infaillible dans ses effets. Je ne vous entretiendrai pas de ces menus détails, n’est pas de cela qu’il s’agit entre vous & moi. Mes succès m’attirerent la considération de mon Patron.

Assem Oglou étoit parvenu à la suprême puissance par la route la plus honorable qui puisse y conduire : car de