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me surcharger à tel point & de travail & de coups, que malgré ma vigueur, j’étois menacé de succomber bientôt sous le faix ; tous mes compagnons, tant forts que foibles, mal nourris & plus maltraités dépérissoient sous l’excès du travail.

Cet état devenant tout-à-fait insupportable, je résolus m’en délivrer à tout risque, mon jeune chevalier à qui je communiquai ma résolution la partagea vivement. Je le connoissois homme de courage, capable de constance pourvu qu’il fût sous les yeux des hommes, & dès qu’il s’agissoit d’actes brillans & de vertus héroÏques, je me tenois sûr de lui. Mes ressources néanmoins étoient toutes en moi-même & je n’avois besoin du concours de personne pour exécuter mon projet ; mais il étoit vrai qu’il. pouvoit avoir un effet beaucoup plus avantageux, exécuté de concert mes compagnons de miseres, & je résolus de le leur proposer, conjointement avec le chevalier.

J’eus peine à obtenir de lui que cette proposition se feroit simplement & sans intrigues préliminaires. Nous primes le tems du repas où nous étions plus rassemblés & moins surveillés. Je m’adressai d’abord dans ma langue à une douzaine de compatriotes que j’avois-là, ne voulant pas leur parler en langue franque de peur d’être entendu des gens du pays. Camarades, leur dis-je, écoutez-moi. Ce qui me reste de force ne peut suffire à quinze jours encore du travail dont on me surcharge, & je suis un des plus robustes de la troupe ; il faut qu’une situation si violente prenne une prompte fin, soit par un épuisement total, soit par une résolution qui prévienne. Je choisis le dernier parti, & je suis détermine à