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en moi-même avec une sorte de satisfaction. Que m’ôtera cet événement ? Le pouvoir de faire une sottise. Je suis plus libre qu’auparavant. Emile esclave ! reprenois-je, eh dans quel sens ? Qu’ai-je perdu de ma liberté primitive ? Ne naquis-je pas esclave de la nécessité ? Quel nouveau joug peuvent m’imposer les hommes ? Le travail ? ne travaillois-je pas quand j’étois libre ? La faim ? combien de fois je l’ai soufferte volontairement ! La douleur ? toutes les forces humaines ne m’en donneront pas plus que ne m’en fit fable. La contrainte ? sera-t-elle plus rude que celle de mes premiers fers ? & je n’en voulois pas sortir. Soumis par ma naissance aux passions humaines, que leur joug me soit imposé par un autre ou par moi, ne faut-il pas toujours le porter, &. qui sait de quelle part il me sera plus supportable ? J’aurai du moins toute ma raison pour les modérer dans un autre, combien de fois ne m’a-t-elle pas abandonné dans les miennes ? Qui pourra me faire porter deux. chaînes ? N’en portois-je pas une auparavant ? Il n’y à de servitude réelle que celle de la nature. Les hommes n’en sont que les instrumens. Qu’un maître m’assomme ou qu’un rocher ni m’écrase, c’est le même événement a mes yeux, & tout ce qui peut m’arriver de pis dans l’esclavage est de ne pas plus fléchir un tyran qu’un caillou. Enfin si j’avois ma liberté, qu’en serois-je ? Dans l’état ou je suis, que puis-je vouloir ? Eh ! pour ne pas tomber dans l’anéantissement, j’ai besoin d’être animé par la volonté d’un autre au défaut de la mienne.

Je tirai de ces réflexions la conséquence que mon changement