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François voudroit porter avec lui toute la France ; sitôt que quelque chose de ce qu’il avoit lui manque, il compte pour rien les équivalens, & se croit perdu. Toujours comparant ce qu’il trouve à ce qu’il à quitté, il croit être mal quand il n’est pas de la même maniere, & ne sauroit dormir aux Indes si son lit n’est fait tout comme à Paris.

Pour moi, je suivois la direction contraire à l’objet que j’avois à fuir, comme autrefois j’avois suivi l’opposé de l’ombre dans la forêt de Montmorenci. La vîtesse que je ne mettois pas à mes courses se compensoit par la ferme résolution de ne point rétrograder. Deux jours de marche avoient déjà fermé derriere moi la barriere en me laissant le tems de réfléchir durant mon retour, si jeusse été tenté d’y songer. Je respirois en m’éloignant, & je marchois plus à mon aise, à mesure que j’échappois au danger. Borné pour tout projet à celui que j’exécutois, je suivois le même air de vent pour toute regle ; je marchois tantôt vite, & tantôt lentement selon ma commodité, ma sauté, mon humeur, mes forces. Pourvu, non avec moi, mais en moi, de plus de ressources que je n’en avois besoin pour vivre, je n’étois embarrassé ni de ma voiture, ni de ma subsistance. Je ne craignois point les voleurs ; ma bourse & mon passe-port étoient dans mes bras : mon vêtement formoit toute ma garde-robe ; il étoit commode & bon pour un ouvrier. Je le renouvellois sans peine à mesure qu’il s’usoit. Comme je ne marchois ni avec l’appareil ni avec l’inquiétude d’un voyageur, je n’excitois l’attention de personne ; je passois par-tout pour un homme du pays. Il étoit rare qu’on m’arrêtât sur des frontieres, & quand