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parcourues, dans les déserts que j’ai traversés, errant durant tant d’années, je n’ai regretté qu’une seule chose, & c’étoit celle que j’avois à fuir. Si mon cœur m’eût laissé tranquille, mon corps n’eût manqué de rien.

LETTRE II.

J’ai bu l’eau d’oubli ; le passé s’efface de ma mémoire & d’univers s’ouvre devant moi. Voilà ce que je me disois en quittant ma Patrie dont j’avois à rougir, & à laquelle je ne devois que le mépris & la haine, puisqu’heureux & digne d’honneur par moi-même, je ne tenois d’elle & de ses vils habitans que les maux dont j’étois la proie, & l’opprobre ou j’etois plongé. En rompant des nœuds qui m’attachoient à mon pays, je l’étendois sur toute la terre, & j’en devenois d’autant plus homme en cessant d’être Citoyen.

J’ai remarqué dans mes longs voyages qu’il n’y à que l’éloignement du terme qui rende le trajet difficile. Il ne l’est jamais d’aller à une journée du lieu où l’on est, & pour quoi vouloir faire plus, si de journée en journée on peut aller au bout du monde ? Mais en comparant les extrêmes on s’effarouche de l’intervalle ; il semble qu’on doive le franchir tout d’un faut ; au lieu qu’en le prenant par parties on ne fait que des promenades & l’on arrive. Les voyageurs, s’environnant toujours de leurs usages ; de leurs habitudes, de leurs préjugés, de tous leurs besoins factices, ont, pour ainsi dire, une atmosphere qui les sépare des lieux où ils sont, comme d’autant d’autres mondes différens du leur. Un