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avoir été l’effet de ma colore. Sur ce seul point la passion m’avoir aveuglé, & ce fut le seul point aussi sur lequel je changeai de résolution. Si ma famille eût suivi mes intentions, Sophie eût élevé cet enfant, & peut être vivroit-il encore ; mais peut-être aussi des-lors Sophie étoit-elle morte pour moi, consolée dans cette chere moitié de moi-même, elle n’eût plus songé à rejoindre l’autre, & j’aurois perdu les plus beaux jours de ma vie. Que de douleurs devoient nous faire expier nos fautes avant que notre réunion nous les fît oublier !

Nous nous connoissions si bien mutuellement qu’il ne me falut pour deviner le motif de sa brusque retraite que sentir qu’elle avoir prévu ce qui seroit arrivé si nous nous fussions revus. J’étois raisonnable mais, foible, elle le savoit ; & je savois encore mieux combien cette ame sublime & fiere conservoit d’inflexibilité jusques dans ses fautes. L’idée de Sophie rentrée en grace lui étoit insupportable. Elle sentoit que son crime étoit de ceux qui ne peuvent s’oublier ; elle aimoit mieux être punie que pardonnée : un tel pardon n’étoit pas fait pour elle ; la punition même l’avilissoit moins à son gré. Elle croyoit ne pouvoir effacer sa faute qu’en l’expiant, ni s’acquitter avec la justice qu’en souffrant tous les maux qu’elle avoir mérités. C’est pour cela qu’intrépide & barbare dans sa franchise elle dit son crime à vous, à toute ma famille, taisant en même tems ce qui l’excusoit, ce qui la justifioit peut-être, le cachant, dis-je, avec une telle obstination, qu’elle ne m’en à jamais dit un mot à moi-même, & que je ne l’ai sçu qu’après sa mort.

D’ailleurs, rassurée sur la crainte de perdre son fils elle