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persuasion ? qu’avoit-elle vu ? Emile en paix, Emile au travail. Quelle preuve pouvoir-elle tirer de cette vue, sinon qu’Emile en cet état n’étoit point subjugué par ses passions & ne formoit que résolutions raisonnables ? Celle de la séparer de son fils ne l’etoit donc pas selon elle, quoi qu’elle le fut selon moi : lequel avoir tort ? Le mot de Sophie décidoit encore ce point, & en effet en considérant le seul intérêt de l’enfant, cela pouvoit-il même être mis en doute ? Je n’avois envisagé que l’enfant ôté à la mere, & il faloit envisager la mere ôtée à l’enfant. J’avois donc tort. Oter une mere à son fils, c’est lui ôter plus qu’on ne peut lui rendre sur-tout à cet âge ; c’est sacrifier l’enfant pour se venger de la mere : c’est un acte de passion, jamais de raison, à moins que mere ne soit folle ou dénaturée. Mais Sophie est celle qu’il faudroit desirer à mon sils quand il en auroit une autre. Il faut que nous l’élevions elle ou moi ne pouvant plus l’élever ensemble, ou bien pour contenter ma colere il saut le rendre orphelin. Mais que serai-je d’un enfant dans l’état ou je suis ? J’ai assez de raison pour voir ce que je puis ou ne puis faire, non pour faire ce que je doit. Traînerai-je un enfant de cet âge en d’autres contrées, ou le tiendrai-je tous les yeux sa mere, pour braver une femme que je dois fuir ? Ah ! pour ma sureté je ne serai jamais assez loin d’elle ! Laissons-lui l’enfant de peur qu’il ne lui ramene à la fin le pere. Qu’il 1ui reste seul pour ma vengeance ; que chaque jour de sa vie il rappelle à l’infidelle le bonheur dont il fut le gage & l’époux qu’elle s’est ôté.

Il est certain que la résolution d’ôter mon fils à si mere