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ton oubli, ton indifférence qui t’ont arraché de son cœur ; il ne faut point cesser d’être aimable quand on veut être toujours aimé. Elle n’a violé ses sermens qu’à ton exemple ; il faloit ne la point négliger, & jamais elle ne t’eût trahi.

Quels sujets de plainte t’a-t-elle donnés dans la retraite où tu l’as trouvée, & où tu devois toujours la laisser ? Quel attiédissement as-tu remarqué dans sa tendresse ? Est-ce elle qui t’a prié de la tirer de ce lieu fortuné ? Tu le sais, elle l'a quitté avec le plus mortel regret. Les pleurs qu’elle y versoit lui étoient plus doux que les folâtres jeux de la Ville. Elle y passoit son innocente vie, à faire le bonheur de la tienne : mais elle t’aimoit mieux que sa propre tranquillité ; après t’avoir voulu retenir, elle quitta tout pour te suivre : c’est toi qui du sein de la paix & de la vertu l’entraînas dans l’abyme de vices & de miseres où tu t’es toi-même précipité. Hélas ! il n’a tenu qu’à toi seul qu’elle ne fût toujours sage, qu’elle ne te rendît toujours heureux.

Ô Emile ! tu l’as perdue, tu dois te haÏr & la plaindre ; mais quel droit as-tu de la mépriser ? Es-tu resté toi-même irréprochable ? Le monde n’a-t-il rien pris sur tes mœurs ? Tu n’as point partagé son infidélité, mais ne l’as-tu pas excusée, en cessant d’honorer sa vertu ? Ne l’as-tu pas excitée en vivant dans des lieux où tout ce qui est honnête est en dérision, où les femmes rougiroient d’être chastes, où le seul prix des vertus de leur sexe est la raillerie & l’incrédulité ? La foi que tu n’as point violée a-t-elle été exposée aux mêmes risques ? As-tu reçu comme elle ce tempérament de