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droits d’Epoux, trop négligés depuis long- tems ; j’éprouvai la plus invincible résistance. Ce n’étoient plus ces refus agaçans, faits pour donner un nouveau prix à ce qu’on accorde : ce n’étoient pas non plus ces refus tendres, modestes, mais absolus qui m’enivroient d’amour & qu’il faloit pourtant respecter. C’étoient les refus sérieux d’une volonté décidée qui s’indigne qu’on puisse douter d’elle. Elle me rappelloit avec force les engagemens pris jadis en votre présence. Quoi qu’il en soit de moi, disoit-elle, vous devez vous estimer vous-même & respecter à jamais la parole d’Emile. Mes torts ne vous autorisent point à violer vos promesses. Vous pouvez me punir, mais vous ne pouvez me contraindre, & soyez sur que je ne le souffrirai jamais. Que répondre, que faire ? sinon tacher de la fléchir, de la toucher, de vaincre son obstination à force de persévérance ? Ces vains efforts irritoient à la fois mon amour & mon amour-propre. Les difficultés enflammoient mon cœur, & je me faisois un point d’honneur de les surmonter. Jamais peut-être après dix ans de mariage, après un si long refroidissement, la passion d’un Epoux ne se ralluma si brûlante & si vive ; jamais durant mes premieres amours je n’avois tant versé de pleurs à ses pieds : tout fut inutile, elle demeura inébranlable.

J’étois aussi surpris qu’affligé, sachant bien que cette dureté de cœur n’étoit pas dans son caractere. Je ne me rebutai point, & si je ne vainquis pas son opiniâtreté, j’y crus voir moins de sécheresse. Quelques signes de regret & de pitié rempéroient l’aigreur de ses refus, je jugeois quelquefois qu’ils lui coûtoient ; ses yeux éteints laissoient tomber sur moi