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alloit devenir moins dépendant d’elle, & déjà la mere apprenoit à s’en passer. Moi-même je n’étois plus son Emile, je n’étois que son mari, & le mari d’une honnête femme dans les grandes Villes, est un homme avec qui l’on garde en public toutes sortes de bonnes manieres, mais qu’on ne voit point en particulier. Long-tems nos coteries furent les mêmes. Elles changerent insensiblement. Chacun des deux : pensoit se mettre son aile loin de la personne qui avoir droit d’inspection sur lui. Nous n’étions plus un, nous étions deux :.le ton du monde nous avoir divisés, & nos cœurs ne se rapprochoient plus. Il n’y avoit que nos voisins de Campagne & amis de Ville qui nous réunssent quelquefois. La femme, après m’avoir fait souvent des agaceries auxquelles je ne résistois pas toujours sans peine se rebuta, & s’attachant tout-à-fait à Sophie en devint inséparable. Le mari vivoit sort lié avec son épouse, & par conséquent avec la mienne. Leur conduite extérieure étoit réguliere & décente, mais leurs maximes auroient dû m’effrayer. Leur bon intelligence venoit moins d’un véritable attachement, que d’une indifférence commune sur les devoirs de leur état. Peu jaloux des droits qu’ils avoient l’un sur l’autre, ils prétendoient s’aimer beaucoup plus en se passant tous leurs goûts sans contrainte, & ne s’ossensant point de n’en être pas l’objet. Que mon mari vive heureux, sur toute chose, disoit la femme ; que j’aie ma femme pour amie, je suis content, disoit le mari. Nos sentimens, poursuivoient-ils, ne dépendent pas de nous, mais nos procédés en dépendent : chacun me du sien tout ce qu’il peut au bonheur de l’autre. Peut-on mieux