Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/467

Cette page n’a pas encore été corrigée

Vains regrets ! souhaits inutiles ! Tout est disparu, tout est disparu sans retour...... Après tant d’ardens soupirs, j’en obtins le prix, tous mes vœux surent comblés. Epoux, & toujours amant, je trouvai dans la tranquille possession un bonheur d’une autre espece, mais non moins vrai que dans le délire des desirs. Mon maître, vous croyez avoir, connu cette fille enchanteresse. Ô combien vous vous trompez ! Vous avez connu ma maîtresse, ma femme ; mail vous n’avez pas connu Sophie. Ses charmes de toute espece étoient inépuisables, chaque instant sembloit les renouveller, & le dernier jour de sa vie, m’en montra que je n’avois pas connus.

Déjà pere de deux enfans, je partageois mon tems entre une épouse adorée & les chers fruits de sa tendresse ; vous m’aidiez à préparer à mon fils une éducation semblable à la mienne, & ma fille, sous les yeux de sa mere, eût appris à lui ressembler. Toutes mes affaires se bornoient au soin du patrimoine de Sophie ; j’avois oublié ma fortune pour jouir de ma félicité. Trompeuse félicité ! trois fois j’ai senti ton inconstance. Ton terme n’est qu’un point, & lorsqu’on est au comble il faut bientôt décliner. Etoit-ce par vous, pere cruel, que devoit commencer ce déclin ? Par quelle fatalité pûtes-vous quitter cette vie paisible que nous menions ensemble, comment mes empressemens vous rebuterent-ils de moi ? Vous vous complaisiez dans votre ouvrage ; je le voyois, je le sentois, j’en étois sûr. Vous paroissiez heureux de mon bonheur ; les tendres caresses de Sophie sembloient flatter votre cœur paternel ; vous nous aimiez, vous vous plaisiez