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mes semblables. Mon cœur à été déchire par tous ses attachemens ; il ne tient plus qu’au moindre de tous, au tiede amour d’une vie sans plaisirs, mais exempte de remords. Si je survis long-tems à mes pertes, mon sort est de vieillir & mourir seul sans jamais revoir un visage d’homme, & la seule Providence me fermera les yeux.

En cet état, qui peut m’engager encore à prendre soin de cette triste vie que j’ai si peu de raison d’aimer ? Des souvenirs, & la consolation d’être dans l’ordre en ce monde, en m’y soumettant sans murmure aux décrets éternels. Je suis mort dans tout ce qui m’étoit cher : J’attends sans impatience & sans crainte que ce qui reste de moi rejoigne ce que j’ai perdu.

Mais vous, mon cher maître, vivez-vous ? êtes-vous mortel encore sur cette terre d’exil avec votre Emile, ou si déjà vous habitez avec Sophie la patrie des ames justes ? Hélas ! ou que vous soyez vous êtes mort pour moi, mes yeux ne vous verront plus ; mais mon, cœur s’occupera de vous sans cesse. Jamais je n’ai mieux connu le prix de vos soins qu’apres que la dure nécessite m’a si cruellement fait sentir ses coups & m’a tout ôte excepte moi. Je suis seul, j’ai tout perdu, mais je me reste, & le désespoir ne m’a point anéanti. Ces papiers ne vous parviendront pas, je ne puis l’espérer. Sans doute ils périront fans avoir été vus d’aucun homme :, mais n’importe, ils sont écrits, je les rassemble, je les lie, je les continue, & c’est à vous que je les adresse : c’est à vous que je veux tracer ces précieux souvenirs qui nourrissent & navrent mon cœur ; c’est à vous