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doux attraits de la volupté n’y sont point. Ô qui de vous n’a jamais vu deux jeunes époux, unis sous d’heureux auspices, sortant du lit nuptial, & portant à la fois dans leurs regards languissants & chastes l’ivresse des doux plaisirs qu’ils viennent de goûter, l’aimable sécurité de l’innocence, & la certitude alors si charmante de couler ensemble le reste de leurs jours ? Voici l’objet le plus ravissant qui puisse être offert au cœur de l’homme ; voilà le vrai tableau de la volupté : vous l’avez vu cent fois sans le reconnaître ; vos cœurs endurcis ne sont plus faits pour l’aimer. Sophie, heureuse & paisible, passe le jour dans les bras de sa tendre mère ; c’est un repos bien doux à prendre après avoir passé la nuit dans ceux d’un époux.

Le surlendemain, j’aperçois déjà quelque changement de scène. Emile veut paraître un peu mécontent ; mais, à travers cette affectation, je remarque un empressement si tendre, & même tant de soumission, que je n’en augure rien de bien fâcheux. Pour Sophie, elle est plus gaie que la veille, je vois briller dans ses yeux un air satisfait ; elle est charmante avec Emile ; elle lui fait presque des agaceries dont il n’est plus dépité.

Ces changements sont peu sensibles ; mais ils ne m’échappent pas : je m’en inquiète, j’interroge Emile en particulier ; j’apprends qu’à son grand regret, et malgré toutes ses instances, il a fallu faire lit à part la nuit précédente. L’impérieuse s’est hâtée d’user de son droit. On a un éclaircissement : Emile se plaint amèrement, Sophie plaisante ; mais enfin, le voyant prêt à se fâcher tout de bon, elle lui jette un regard plein de douceur & d’amour, & me serrant la main, ne prononce