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Après avoir presque employé deux ans à parcourir quelques-uns des grands Etats de l’Europe & beaucoup plus des petits ; après en avoir appris les deux ou trois principales langues ; après y avoir vu ce qu’il y a de vraiment curieux, soit en histoire naturelle, soit en gouvernement, soit en arts, soit en hommes, Emile, dévoré d’impatience, m’avertit que notre terme approche. Alors je lui dis : Eh bien ! mon ami, vous vous souvenez du principal objet de nos voyages ; vous avez vu, vous avez observé : quel est enfin le résultat de vos observations ? À quoi vous fixez-vous ? Ou je me suis trompé dans ma méthode, ou il doit me répondre à peu près ainsi :

"À quoi je me fixe ? à rester tel que vous m’avez fait être, & à n’ajouter volontairement aucune autre chaîne à celle dont me chargent la nature & les lois. Plus j’examine l’ouvrage des hommes dans leurs institutions, plus je vois qu’à force de vouloir être indépendants, ils se font esclaves, & qu’ils usent leur liberté même en vains efforts pour l’assurer. Pour ne pas céder au torrent des choses, ils se font mille attachements ; puis, sitôt qu’ils veulent faire un pas, ils ne peuvent, et sont étonnés de tenir à tout. Il me semble que pour se rendre libre on n’a rien à faire ; il suffit de ne pas vouloir cesser de l’être. C’est vous, ô mon maître, qui m’avez fait libre en m’apprenant à céder à la nécessité. Qu’elle vienne quand il lui