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calculateurs, il n’y en ait pas un qui sache voir que la France seroit beaucoup plus puissante si Paris étoit anéanti. Non seulement le peuple mal distribué n’est pas avantageux à l’Etat, mais il est plus ruineux que la dépopulation même, en ce que la dépopulation ne donne qu’un produit nul, & que la consommation mal entendue donne un produit négatif. Quand j’entends un François & un Anglais, tout fiers de la grandeur de leurs capitales, disputer entre eux lequel de Paris ou de Londres contient le plus d’habitants, c’est pour moi comme s’ils disputoient ensemble lequel des deux peuple sa l’honneur d’être le plus mal gouverné.

Etudiez un peuple hors de ses villes, ce n’est qu’ainsi que vous le connaîtrez. Ce n’est rien de voir la forme apparente d’un gouvernement, fardée par l’appareil de l’administration & par le jargon des administrateurs, si l’on n’en étudie aussi la nature par les effets qu’il produit sur le peuple & dans tous les degrés de l’administration. La différence de la forme au fond se trouvant partagée entre tous ces degrés, ce n’est qu’en les embrassant tous qu’on connaît cette différence. Dans tel pays, c’est par les manœuvres des subdélégués qu’on commence à sentir l’esprit du ministère ; dans tel autre, il faut voir élire les membres du parlement pour juger s’il est vrai que la nation soit libre ; dans quelque pays que ce soit, il est impossible que qui n’a vu que les villes connaisse le gouvernement, attendu que l’esprit n’en est jamais le même pour la ville et pour la campagne. Or, c’est la campagne qui fait le pays, & c’est le peuple de la campagne qui fait la nation.