Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/433

Cette page n’a pas encore été corrigée

dont les habitants se déplacent moins, changent moins de fortune & d’état, qu’il faut aller étudier le génie & les mœurs d’une nation. Voyez en passant la capitale, mais allez observer au loin le pays. Les François ne sont pas à Paris, ils sont en Touraine ; les Anglois sont plus Anglois en Mercie qu’à Londres & les Espagnols plus Espagnols en Galice qu’à Madrid. C’est à ces grandes distances qu’un peuple se caractérise & se montre tel qu’il est sans mélange ; c’est là que les bons & les mauvais effets du gouvernement se font mieux sentir, comme au bout d’un plus grand rayon la mesure des arcs est plus exacte.

Les rapports nécessaires des mœurs au gouvernement on tété si bien exposés dans le livre de l’Esprit des Lois, qu’on ne peut mieux faire que de recourir à cet ouvrage pour étudier ces rapports. Mais, en général, il y a deux règles faciles et simples pour juger de la bonté relative des gouvernements. L’une est la population. Dans tout pays qui se dépeuple, l’Etat tend à sa ruine ; & le pays qui peuple le plus, fût-il le plus pauvre, est infailliblement le mieux gouverné.*

[*Je ne sache qu’une seule exception à cette règle, c’est la Chine.]

Mais il faut pour cela que cette population soit un effet naturel du gouvernement et des mœurs ; car, si elle se faisoit par des colonies, ou par d’autres voies accidentelles & passagères, alors elles prouveroient le mal par le remède. Quand Auguste porta des lois contre le célibat, ces lois montroient déjà le déclin de l’empire romain. Il faut que la bonté du gouvernement porte les citoyens à se marier, & non pas que la loi les y contraigne ; il ne faut pas examiner ce qui se fait par force, car la loi, qui combat la constitution,