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large grand chemin ? Que si vous vous conservez du crédit pour parer à tous ces inconvénients, autant vaut conserver aussi vos richesses, car elles ne vous coûteront pas plus à garder. La richesse & le crédit s’étayent mutuellement ; l’un se soutient toujours mal sans l’autre.

J’ai plus d’expérience que vous, cher Emile ; je vois mieux la difficulté de votre projet. Il est beau pourtant, il est honnête, il vous rendroit heureux en effet : efforçons-nous de l’exécuter. J’ai une proposition à vous faire : consacrons les deux ans que nous avons pris jusqu’à votre retour à choisir un asile en Europe où vous puissiez vivre heureux avec votre famille, à l’abri de tous les dangers dont je viens de vous parler. Si nous réussissons, vous aurez trouvé le vrai bonheur vainement cherché par tant d’autres, & vous n’aurez pas regret à votre temps. Si nous ne réussissons pas, vous serez guéri d’une chimère ; vous vous consolerez d’un malheur inévitable, & vous vous soumettrez à la loi de la nécessité.

Je ne sais si tous mes lecteurs apercevront jusqu’où va nous mener cette recherche ainsi proposée ; mais je sais bien que si, au retour de ses voyages, commencés & continués dans cette vue, Emile n’en revient pas versé dans toutes les matières de gouvernement, de mœurs publiques, & de maximes d’Etat de toute espèce, il faut que lui ou moi soyons bien dépourvus, l’un d’intelligence, et l’autre de jugement.

Le droit politique est encore à naître, & il est à présumer qu’il ne naîtra jamais. Grotius, le maître de tous nos