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plus de courage ni de valeur, si ce n’est peut-être auprès des femmes ; qu’au contraire le plus rampant, le plus bas, le plus servile, est toujours le plus honoré : que si vous vous avisez de vouloir faire tout de bon votre métier, vous serez méprisé, haÏ, chassé peut-être, tout au moins accablé de passe-droits & supplanté par tous vos camarades, pour avoir fait votre service à la tranchée, tandis qu’ils faisoient le leur à la toilette.

On se doute bien que tous ces emplois ne seront pas fort du goût d’Emile. Eh quoi ! me dira-t-il, ai-je oublié les jeux de mon enfance ? ai-je perdu mes bras ? ma force est-elle épuisée ? ne sais-je plus travailler ? Que m’importe tous vos beaux emplois & toutes les sottes opinions des hommes ? Je ne connois point d’autre gloire que d’être bienfaisant & juste ; je ne connois point d’autre bonheur que de vivre indépendant avec ce qu’on aime, en gagnant tous les jours de l’appétit & de la santé par son travail. Tous ces embarras dont vous me parlez ne me touchent guère. Je ne veux pour tout bien qu’une petite métairie dans quelque coin du monde. Je mettrai toute mon avarice à la faire valoir, & je vivrai sans inquiétude. Sophie & mon champ, & je serai riche.

Oui, mon ami, c’est assez pour le bonheur du sage d’une femme & d’un champ qui soient à lui ; mais ces trésors, bien que modestes, ne sont pas si communs que vous pensez. Le plus rare est trouvé par vous ; parlons de l’autre.

Un champ qui soit à vous, cher Emile ! & dans quel lieu le choisirez-vous ? En quel coin de la terre pourrez-vous dire :