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s’effaçant de jour en jour, deviennent en même raison plus difficiles à saisir. À mesure que les races se mêlent, & que les peuples se confondent, on voit peu à peu disparaître ces différences nationales qui frappoient jadis au premier coup d’œil. Autrefois chaque nation restoit plus enfermée en elle-même ; il y avoit moins de communications, moins de voyages, moins d’intérêts communs ou contraires, moins de liaisons politiques & civiles de peuple à peuple, point tant de ces tracasseries royales appelées négociations, point d’ambassadeurs ordinaires ou résidant continuellement ; les grandes navigations étoient rares ; il y avoit peu de commerce éloigné ; & le peu qu’il y en avoit étoit fait ou par le prince même, qui s’y servoit d’étrangers ou par des gens méprisés, qui ne donnoient le ton à personne & ne rapprochoient point les nations. Il y a cent fois plus de liaisons maintenant entre l’Europe & l’Asie qu’il n’y en avoit jadis entre la Gaule et l’Espagne : l’Europe seule étoit plus éparse que la terre entière ne l’est aujourd’hui.

Ajoutez à cela que les anciens peuples, se regardant la plupart comme autochtones ou originaires de leur propre pays, l’occupoient depuis assez longtemps pour avoir perdu la mémoire des siècles reculés où leurs ancêtres s’y étoient établis, & pour avoir laissé le temps au climat de faire sur eux des impressions durables : au lieu que, parmi nous, après les invasions des Romains, les récentes émigrations des barbares ont tout mêlé, tout confondu. Les Français d’aujourd’hui ne sont plus ces grands corps blonds & blancs d’autrefois ; les Grecs ne sont plus ces beaux hommes faits pour