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cœur, & sois fidèle ; tu n’as pas un amant sans vertu.

La fière Sophie, de son côté, tâche de supporter avec dignité le coup imprévu qui la frappe. Elle s’efforce d’y paraître insensible ; mais, comme elle n’a pas, ainsi qu’Emile, l’honneur du combat & de la victoire, sa fermeté se soutient moins. Elle pleure, elle gémit en dépit d’elle, & la frayeur d’être oubliée aigrit la douleur de la séparation. Ce n’est pas devant son amant qu’elle pleure, ce n’est pas à lui qu’elle montre ses frayeurs ; elle étoufferoit plutôt que de laisser échapper un soupir en sa présence : c’est moi qui reçois ses plaintes, qui vois ses larmes, qu’elle affecte de prendre pour confident. Les femmes sont adroites & savent se déguiser : plus elle murmure en secret contre ma tyrannie, plus elle est attentive à me flatter ; elle sent que son sort est dans mes mains.

Je la console, je la rassure, je lui réponds de son amant, ou plutôt de son époux : qu’elle lui garde la même fidélité qu’il aura pour elle, & dans deux ans il le sera, je le jure. Elle m’estime assez pour croire que je ne veux pas la tromper. Je suis garant de chacun des deux envers l’autre. Leurs cœurs, leur vertu, ma probité, la confiance de leurs parents, tout les rassure. Mais que sert la raison contre la faiblesse ? Ils se séparent comme s’ils ne devoient plus se voir.

C’est alors que Sophie se rappelle les regrets d’Eucharis & se croit réellement à sa place. Ne laissons point durant l’absence réveiller ces fantasques amours. Sophie, lui dis-je un jour, faites avec Emile un échange de livres. Donnez-lui votre Télémaque, afin qu’il apprenne à lui ressembler, &