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que c’est que gouvernement, lois, patrie ? Savez-vous à quel prix il vous est permis de vivre, & pour qui vous devez mourir ? Vous croyez avoir tout appris, et vous ne savez rien encore. Avant de prendre une place dans l’ordre civil, apprenez à le connoître & à savoir quel rang vous y convient."

"Emile, il faut quitter Sophie : je ne dis pas l’abandonner ; si vous en étiez capable, elle seroit trop heureuse de ne vous avoir point épousé : il la faut quitter pour revenir digne d’elle. Ne soyez pas assez vain pour croire déjà la mériter. Ô combien il vous reste à faire ! Venez remplir cette noble tâche ; venez apprendre à supporter l’absence ; venez gagner le prix de la fidélité, afin qu’à votre retour vous puissiez vous honorer de quelque chose auprès d’elle, & demander sa main, non comme une grâce, mais comme une récompense."

Non encore exercé à lutter contre lui-même, non encore accoutumé à désirer une chose & à en vouloir une autre, le jeune homme ne se rend pas ; il résiste, il dispute. Pourquoi se refuseroit au bonheur qui l’attend ? Ne seroit-ce pas dédaigner la main qui lui est offerte que de tarder à l’accepter ? Qu’est-il besoin de s’éloigner d’elle pour s’instruire de ce qu’il doit savoir ? & quand cela serait nécessaire, pourquoi ne lui laisseroit-il pas, dans des nœuds indissolubles, le gage assuré de son retour ? Qu’il soit son époux, & il est prêt à me suivre ; qu’ils soient unis, & il la quitte sans crainte... Vous unir pour vous quitter, cher Emile, quelle contradiction ! Il est beau qu’un amant puisse vivre sans sa