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tout indigné, ce sont là les exemples qu’on nous donne à suivre, les modèles qu’on nous offre à imiter ! A-t-on peur que l’homme ne soit pas assez petit, assez malheureux, assez faible, si l’on ne vient encore encenser sa faiblesse sous la fausse image de la vertu ? Mon jeune ami, sois plus indulgent désormois pour la scène : te voilà devenu l’un de ses héros."

"Tu sais souffrir & mourir : tu sais endurer la loi de la nécessité dans les maux physiques ; mais tu n as point encore imposé de lois aux appétits de ton cœur ; et c’est de nos affections, bien plus que de nos besoins, que naît le trouble de notre vie. Nos désirs sont étendus, notre force est presque nulle. L’homme tient par ses vœux à mille choses, & par lui-même il ne tient à rien, pas même à sa propre vie ; plus il augmente ses attachements, plus il multiplie ses peines. Tout ne fait que passer sur la terre : tout ce que nous aimons nous échappera tôt ou tard, & nous y tenons comme s’il devoit durer éternellement. Quel effroi sur le seul soupçon de la mort de Sophie ! As-tu donc compté qu’elle vivroit toujours ? Ne meurt-il personne à son âge ? Elle doit mourir, mon enfant, & peut-être avant toi. Qui sait si elle est vivante à présent même ? La nature ne t’avoit asservi qu’à une seule mort, ru t’asservis à une seconde ; te voilà dans le cas de mourir deux fois."

"Ainsi soumis à tes passions déréglées, que tu vas rester à plaindre ! Toujours des privations, toujours des pertes, toujours des alarmes ; tu ne jouiras pas même de ce qui