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savoir où il est, c’est s’exposer à le fuir, c’est courir autant de risques contraires qu’il y a de routes pour s’égarer. Mais il n’appartient pas à tout le monde de savoir ne point agir. Dans l’inquiétude où nous tient l’ardeur du bien-être, nous aimons mieux nous tromper à le pour-suivre, que de ne rien faire pour le chercher : &, sortis une fois de la place où nous pouvons le connaître, nous n’y savons plus revenir."

"Avec la même ignorance j’essayai d’éviter la même faute. En prenant soin de toi, je résolus de ne pas faire un pas inutile & de t’empêcher d’en faire. Je me tins dans la route de la nature, en attendant qu’elle me montrât celle du bonheur. Il s’est trouvé qu’elle étoit la même, & qu’en n’y pensant pas je l’avois suivie."

"Sois mon témoin, sois mon juge ; je ne te récuserai jamais. Tes premiers ans n’ont pas été sacrifiés à ceux qui les doivent suivre ; tu as joui de tous les biens que la nature t’avoit donnés. Des maux auxquels elle t’assujettit, & dont j’ai pu te garantir, tu n’as senti que ceux qui pouvoient t’endurcir aux autres. Tu n’en as jamais souffert aucun que pour en éviter un plus grand. Tu n’as connu ni la haine, ni l’esclavage. Libre & content, tu es resté juste & bon ; car la peine & le vice sont inséparables, & jamais l’homme ne devient méchant que lorsqu’il est malheureux. Puisse le souvenir de ton enfance se prolonger jusqu’à tes vieux jours ! Je ne crains pas que jamais ton bon cœur se la rappelle sans donner quelques bénédictions à la main qui la gouverna."