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Sophie, à ces mots, au lieu de répondre, se lève, lui passe un bras autour du cou, lui donne un baiser sur la joue ; puis, lui tendant la main avec une grâce inimitable, elle lui dit : Emile, prends cette main : elle est à toi. Sois, quand tu voudras, mon époux & mon maître ; je tâcherai de mériter cet honneur.

À peine l’a-t-elle embrassé, que le père, enchanté, frappe des mains, en criant bis, bis, & Sophie, sans se faire presser, lui donne aussitôt deux baisers sur l’autre joue ; mais, presque au même instant, effrayée de tout ce qu’elle vient de faire, elle se sauve dans les bras de sa mère & cache dans ce sein maternel son visage enflammé de honte.

Je ne décrirai point la commune joie ; tout le monde la doit sentir. Après le dîner, Sophie demande s’il y auroit trop loin pour aller voir ces pauvres malades. Sophie le désire & c’est une bonne œuvre. On y va : on les trouve dans deux lits séparés ; Emile en avoit fait apporter un : on trouve autour d’eux du monde pour les soulager : Emile y avoit pourvu. Mais au surplus tous deux sont si mal en ordre, qu’ils souffrent autant du malaise que de leur état. Sophie se fait donner un tablier de la bonne femme, & va la ranger dans son lit ; elle en fait ensuite autant à l’homme ; sa main douce & légères ait aller chercher tout ce qui les blesse, & faire poser plus mollement leurs membres endoloris. Ils se sentent déjà soulagés à son approche ; on diroit qu’elle devine tout ce qui fait leur mal. Cette fille si délicate ne se rebute ni de la malpropreté ni de la mauvaise odeur, & sait faire disparaître l’une & l’autres ans mettre personne en œuvre, & sans que les malades soient tourmentés. Elle