Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/364

Cette page n’a pas encore été corrigée

voiture aussi commode. Il revient essoufflé, et nous rencontre à moitié chemin.

Au voyage suivant Emile ne veut plus de chevaux. Pourquoi ? lui dis-je ; nous n’avons qu’à prendre un laquais pour en avoir soin. Ah ! dit-il, surchargerons-nous ainsi la respectable famille ? Vous voyez bien qu’elle veut tout nourrir, hommes & chevaux. Il est vrai, reprends-je, qu’ils ont la noble hospitalité de l’indigence. Les riches, avares dans leur faste, ne logent que leurs amis ; mais les pauvres logent aussi les chevaux de leurs amis. Allons à pied, dit-il ; n’en avez-vous pas le courage, vous qui partagez de si bon cœur les fatigants plaisirs de votre enfant ? Très volontiers, reprends-je à l’instant : aussi bien l’amour, à ce qu’il me semble, ne veut pas être fait avec tant de bruit.

En approchant, nous trouvons la mère & la fille plus loin encore que la première fois. Nous sommes venus comme un trait. Emile est tout en nage : une main chérie daigne lui passer un mouchoir sur les joues. Il y auroit bien des chevaux au monde, avant que nous fussions désormois tentés de nous en servir.

Cependant, il est assez cruel de ne pouvoir jamais passer la soirée ensemble. L’été s’avance, les jours commencent à diminuer. Quoi que nous puissions dire, on ne nous permet jamais de nous en retourner de nuit ; &, quand nous ne venons pas dès le matin, il faut presque repartir aussitôt qu’on est arrivé. À force de nous plaindre & de s inquiéter de nous, la mère pense enfin qu’à la vérité l’on ne peut nous loger décemment dans la maison, mais qu’on peut nous trouver