Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/363

Cette page n’a pas encore été corrigée

contraire ; il faut qu’il soit aussi robuste que je l’ai fait pour résister aux fatigues que Sophie lui fait supporter.

Il loge à deux grandes lieues d’elle. Cette distance est le soufflet de la forge ; c’est par elle que je trempe les traits de l’amour. S’ils logeoient porte à porte, ou qu’il pût l’aller voir mollement assis dans un bon carrosse, il l’aimeroit à son aise, il l’aimeroit en Parisien. Léandre eût-il voulu mourir pour Héro, si la mer ne l’eût séparé d’elle ? Lecteur, épargnez-moi des paroles ; si vous êtes fait pour m’entendre, vous suivrez assez mes règles dans mes détails.

Les premières fois que nous sommes allés voir Sophie, nous avons pris des chevaux pour aller plus vite. Nous trouvons cet expédient commode, & à la cinquième fois nous continuons de prendre des chevaux. Nous étions attendus ; à plus d’une demi-lieue de la maison, nous apercevons du monde sur le chemin. Emile observe, le cœur lui bat ; il approche, il reconnaît Sophie, il se précipite à bas de son cheval, il part, il vole, il est aux pieds de l’aimable famille. Emile aime les beaux chevaux ; le sien est vif, il se sent libre, il s’échappe à travers champs : je le suis, je l’atteins avec peine, je le ramène. Malheureusement Sophie a peur des chevaux, je n’ose approcher d’elle. Emile ne voit rien ; mais Sophie l’avertit à l’oreille de la peine qu’il a laissé prendre à son ami. Emile accourt tout honteux, prend les chevaux, reste en arrière : il est juste que chacun ait son tour. Il part le premier pour se débarrasser de nos montures. En laissant ainsi Sophie derrière lui, il ne trouve plus le cheval une