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d’eux jusqu’à la fin de leurs jours ; car la révolution la plus à craindre est celle de l’âge sur lequel vous veillez maintenant. Comme on le regrette toujours, on perd difficilement dans la suite les goûts qu’on y a conservés ; au lieu que, quand ils sont interrompus, on ne les reprend de la vie.

La plupart des habitudes que vous croyez faire contracter aux enfans & aux jeunes gens ne sont point de véritables habitudes, parce qu’ils ne les ont prises que par force, & que, les suivant malgré eux, ils n’attendent que l’occasion de s’en délivrer. On ne prend point le goût d’être en prison à force d’y demeurer ; l’habitude alors, loin de diminuer l’aversion, l’augmente. Il n’en est pas ainsi d’Emile, qui, n’ayant rien fait dans son enfance que volontairement & avec plaisir, ne fait, en continuant d’agir de même étant homme, qu’ajouter l’empire de l’habitude aux douceurs de la liberté. La vie active, le travail des bras, l’exercice, le mouvement, lui sont tellement devenus nécessaires, qu’il n’y pourroit renoncer sans souffrir. Le réduire tout à coup à une vie molle et sédentaire seroit l’emprisonner, l’enchaîner, le tenir dans un état violent et contraint ; je ne doute pas que son humeur & sa santé n’en fussent également altérées. À peine peut-il respirer à son aise dans une chambre bien fermée ; il lui faut le grand air, le mouvement, la fatigue. Aux genoux même de Sophie, il ne peut s’empêcher de regarder quelquefois la campagne du coin de l’œil, & de désirer de la parcourir avec elle. Il reste pourtant quand il faut rester ; mais il est inquiet, agité ; il semble se débattre ; il reste,