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le mâle, ayant pour garant de sa fidélité cette affection de préférence, s’inquiète aussi moins de la vue des autres mâles, & vit plus paisiblement avec eux. Dans ces espèces, le mâle partage le soin des petits ; & par une de ces lois de la nature qu’on n’observe point sans attendrissement, il semble que la femelle rende au père l’attachement qu’il a pour ses enfants.

Or, à considérer l’espèce humaine dans sa simplicité primitive, il est aisé de voir, par la puissance bornée du mâle & par la tempérance de ses désirs, qu’il est destiné par la nature à se contenter d’une seule femelle ; ce qui se confirme par l’égalité numérique des individus des deux sexes, au moins dans nos climats ; égalité qui n’a pas lieu, à beaucoup près, dans les espèces où la plus grande force des mâles réunit plusieurs femelles à un seul. & bien que l’homme ne couve pas comme le pigeon, & que n’ayant pas non plus des mamelles pour allaiter, il soit à cet égard dans la classe des quadrupèdes, les enfans sont si longtemps rampants et faibles, que la mère & eux se passeroient difficilement de l’attachement du père, & des soins qui en sont l’effet.

Toutes les observations concourent donc à prouver que la fureur jalouse des mâles, dans quelques espèces d’animaux, ne conclut point du tout pour l’homme ; & l’exception même des climats méridionaux, où la polygamie est établie, ne fait que mieux confirmer le principe, puisque c’est de la pluralité des femmes que vient la tyrannique précaution des maris, & que le sentiment de sa propre faiblesse porte l’homme à recourir à la contrainte pour éluder les lois de la nature.