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trouve toujours assez aimables pour des gens qui ne lui seront jamais rien.

Si le véritable amour pouvoit user de coquetterie, j’en croirois même voir quelques traces dans la manière dont Sophie se comporte avec eux en présence de son amant. On diroit que non contente de l’ardente passion dont elle l’embrase par un mélange exquis de réserve & de caresse, elle n’est pas fâchée encore d’irriter cette même passion par un peu d’inquiétude ; on diroit qu’égayant à dessein ses jeunes hôtes, elle destine au tourment d’Emile les grâces d’un enjouement qu’elle n’ose avoir avec lui : mais Sophie est trop attentive, trop bonne, trop judicieuse, pour le tourmenter en effet. Pour tempérer ce dangereux stimulant, l’amour & l’honnêteté lui tiennent lieu de prudence : elle sait l’alarmer et le rassurer précisément quand il faut ; & si quelquefois elle l’inquiète, elle ne l’attriste jamais. Pardonnons le souci qu’elle donne à ce qu’elle aime à la peur qu’elle a qu’il ne soit jamais assez enlacé.

Mais quel effet ce petit manège fera-t-il sur Emile ? sera-t-il jaloux ? ne le sera-t-il pas ? C’est ce qu’il faut examiner : carde telles digressions entrent aussi dans l’objet de mon livre & m’éloignent peu de mon sujet.

J’ai fait voir précédemment comment, dans les choses qui ne tiennent qu’à l’opinion, cette passion s’introduit dans le cœur de l’homme. Mais en amour c’est autre chose ; la jalousie paraît alors tenir de si près à la nature, qu’on a bien de la peine à croire qu’elle n’en vienne pas ; & l’exemple même des animaux, dont plusieurs sont jaloux jusqu’à la fureur,