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sollicite, il importune. Qu’on lui parle durement, qu’on le maltraite, peu lui importe, pourvu qu’il se fasse écouter. Enfin il obtient, non sans peine, que Sophie de son côté veuille bien prendre ouvertement sur lui l’autorité d’une maîtresse, qu’elle lui prescrive ce qu’il doit faire, qu’elle commande au lieu de prier, qu’elle accepte au lieu de remercier, qu’elle règle le nombre & le temps des visites, qu’elle lui défende de venir jusqu’à tel jour & de rester passé telle heure. Tout cela ne se fait point par jeu, mais très sérieusement, et si elle accepta ces droits avec peine, elle en use avec une rigueur qui réduit souvent le pauvre Emile au regret de les lui avoir donnés. Mais, quoi qu’elle ordonne, il ne réplique point ; & souvent, en partant pour obéir, il me regarde avec des yeux pleins de joie qui me disent : Vous voyez qu’elle a pris possession de moi. Cependant, l’orgueilleuse l’observe en dessous, & sourit en secret de la fierté de son esclave.

Albane & Raphael, prêtez-moi le pinceau de la volupté ! Divin Milton, apprends à ma plume grossière à décrire les plaisirs de l’amour & de l’innocence ! Mais non, cachez vos arts mensongers devant la sainte vérité de la nature. Ayez seulement des cœurs sensibles, des âmes honnêtes ; puis laissez errer votre imagination sans contrainte sur les transports de deux jeunes amants qui, sous les yeux de leurs parents & de leurs guides, se livrent sans trouble à la douce illusion qui les flatte, et, dans l’ivresse des désirs, s’avançant lentement vers le terme, entrelacent de fleurs & de guirlandes l’heureux lien qui doit les unir jusqu’au tombeau. Tant d’images