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bien constitué d’esprit et de corps, fort, sain, dispos, adroit, robuste, plein de sens, de raison, de bonté, d’humanité, ayant des mœurs, du goût, aimant le beau, faisant le bien, libre de l’empire des passions cruelles, exempt du joug de l’opinion, mais soumis à la loi de la sagesse, & docile à la voix de l’amitié ; possédant tous les talents utiles et plusieurs talents agréables, se souciant peu des richesses, portant sa ressource au bout de ses bras, & n’ayant pas peur de manquer de pain, quoi qu’il arrive. Le voilà maintenant enivré d’une passion naissante, son cœur s’ouvre aux premiers feux de l’amour : ses douces illusions lui font un nouvel univers de délices & de jouissance ; il aime un objet aimable, & plus aimable encore par son caractère que par sa personne ; il espère, il attend un retour qu’il sent lui être dû ; c’est du rapport des cœurs, c’est du concours des sentiments honnêtes, que s’est formé leur premier penchant : ce penchant doit être durable. Il se livre avec confiance, avec raison même, au plus charmant délire, sans crainte, sans regret, sans remords, sans autre inquiétude que celle dont le sentiment du bonheur est inséparable. Que peut-il manquer au sien ? Voyez, cherchez, imaginez ce qu’il lui faut encore, & qu’on puisse accorder avec ce qu’il a. Il réunit tous les biens qu’on peut obtenir à la fois ; on n’y en peut ajouter aucun qu’aux dépens d’un autre ; il est heureux autant qu’un homme peut l’être. Irai-je en ce moment abréger un destin si doux ? Irai-je troubler une volupté si pure ? Ah ! tout le prix de la vie est dans la félicité qu’il goûte. Que pourrois-je lui rendre qui valût ce que je lui